Le bois à La Défense

Source:
Fordaq JT
Visites:
2349
  • text size

Guillaume Poitrinal laisse fuiter un projet immense de campus en bois à La Défense, le ministre Stéphane Le Foll imagine l'éventualité d'une tour en bois un jour sur le même site... Au moins, le 3 février à la tour Sequoia qui porte bien son nom, on est entré dans le concret des chances et malchances de la construction biosourcée d'aujourd'hui, en principe sous l'angle de la réhabilitation. D'autant que le même jour, l'annonce des lauréats de la consultation "Réinventer Paris" a placé sous les projecteurs plusieurs projets faisant largement appel au bois en structure.

Après le colloque de l'an dernier destiné spécifiquement aux bailleurs sociaux, FCBA a placé, cette fois de concert avec l'interprofession Francîlbois, un nouvel événement sans perspective particulière de pérennisation, entre le congrès national Aprovalbois de Dijon et le colloque de Bayeux, et avec une thématique un peu en forme de répétition générale du Forum Bois Construction de Lyon en avril prochain. La programmation de l'événement était l'un des engagements du Pass' Filière qui a permis à l'interprofession francilienne de prendre vraiment corps. L'accueil au ministère du Développement Durable conditionnait un peu un intitulé par ailleurs tout à fait inédit, mais large : englober bois et matériaux biosourcés sous la problématique, projetée au niveau national, de la réhabilitation. On se souvient que la DHUP a poussé il y a quelques années la création du label biosourcé. Si le colloque n'a pas donné lieu à un vrai bilan d'étape de ce label, c'est aussi parce qu'il est sans doute encore en phase de lancement. Et dans le cadre d'un colloque qui a su mettre les points sur les i, il n'a pas été occulté que l'intégration de matériaux de construction biosourcés selon trois niveaux de quantité est une formule adoptée non seulement pas le label en question, mais aussi par un label régional francilien puis, davantage centré sur le bois, par la Charte bois que Francîlbois a fait signer aux bailleurs sociaux l'automne dernier. La FNB, quant à elle, présente à la tribune, n'a pas non plus trop quantifié la progression de son label Bois français lancé il y a un peu moins d'un an.

Beaucoup de labels, peu de labellisés et peu de visibilité pour les labels, certes. Mais comme pour bon nombre de constatations de ce colloque instructif, tout est affaire de point de vue : tantôt, on se demande si les efforts sont bien conjugués, tantôt, on croit comprendre que le travail accompli va permettre de peser sur une dynamique qui se met en marche. En tout cas, tandis que la fédération des acteurs du biosourcé tant espérée par la DHUP a provisoirement échoué et que l'alliance entre bois et isolants biosourcés résiste mal aux impératifs urbains, les différents labels biosourcés tendent à tourner au profit du bois. En d'autres termes, dans la pratique, c'est généralement le bois et notamment le bois en structure qui va permettre à un projet d'atteindre l'un des trois niveaux d'exigence. Est-ce là la marque d'un problème clé de la filière biosourcée, ce déséquilibre entre le monde du bois d'une part, et celui des autres matériaux le plus souvent isolants ? Ou bien ce déséquilibre est-il le produit d'un désintérêt de la filière bois, par exemple, qui se place en position de challenger et doit surmonter assez d'obstacles pour s'encombrer de l'aide à une filière encore plus précaire qu'elle ? Prenons l'exemple de la ouate de cellulose. Même le parrainage de Norske Skog au coeur du cluster bois d'Epinal n'a pas empêché la disparition coûteuse de NR Gaïa, suite à l'insidieuse remise en cause de l'emploi de sels de bore. Quant à la paille, malgré un véritable engouement actuel, que dire de cette opération à Paris intra muros pour laquelle le bureau de contrôle exige un Atex, après d'autres Atex pour d'autres opérations franciliennes, sachant qu'un Atex est toujours ponctuel. Jean-Marc Gremmel avait beau jeu de mettre en avant l'opération exemplaire de St Dié dans les Vosges, et d'affirmer que si la façade en CLT était créditée d'un coupe-feu d'une heure, cette performance n'est pas remise en cause si l'on plaque de la paille par dessus. Le Toit Vosgien s'est passé d'Atex et M. Gremmel a même affirmé que s'il avait respecté la réglementation à la lettre, il n'aurait jamais rien construit en bois. Tout de même. Il n'a pas détaillé les conflits persistants que cela semble avoir engendré précisément avec les bureaux de contrôle. Et pour revenir au cas du projet parisien retardé par cette question d'Atex, cela ne révèle-t-il pas également le manque de compétence professionnelle d'une filière bois pas assez au fait des enjoeux du biosourcé, toujours prompte à choisir des fenêtres en PVC pour rentrer dans le budget... Que l'observatoire fasse donc une enquête pour savoir comment les acteurs de la construction bois se définissent, et si le biosourcé est leur mot d'ordre. Pour l'instant, on peut en douter. Leur mot d'ordre sera à n'en pas douter : comment s'en sortir !

C'est justement en se plaçant sur ce point de vue de l'urgence que le colloque du 3 février a été révélateur. Quelque jours avant, un acteur majeur de la construction bois en Ile-de-France confiait que si l'année 2015 était "à oublier", le carnet de commande fin janvier 2016 équivalait déjà à l'ensemble de l'activité de la calamiteuse année passée. Un cas isolé ? D'autres auront travaillé davantage, mais pour quel résultat financier ? Heureusement, voici que les donneurs d'ordre le disent haut et fort, ils attendent beaucoup du bois ! La Ville de Paris le dit, de grands bailleurs sociaux l'affirment : chantiers urbains propres, préfabrication, limitation des nuisances, faible ajout de poids, bilan carbone, vraiment, le bois jouit d'une image presque rêvée. Il est vrai qu'il y a aussi le revers de la médaille. Face à Paris Habitat, l'interprofession en est à écluser des décennies de sinistres avec le bois. Au point que les donneurs d'ordre attendent ce matériau au tournant. Qu'un escalier en bois tombe car les limons n'ont pas été taillés dans le bon sens, et le scepticisme est tout de suite ravivé.

La formule gagnante actuelle semble émerger clairement : des opérations de conception-réalisation avec intégration tout en amont du constructeur bois, aux côtés de l'entreprise générale, et en attendant que la filière parvienne à franchir précisément le pas et fasse émerger, à l'exemple peut-être de la SA Maître Cube, de véritables entreprises générales du bois. Les architectes ne sont pas tous enchantés de faire une croix sur la loi MOP. Par ailleurs, une incertitude subsiste quant à la capacité de la filière à répondre aux attentes des donneurs d'ordre très en amont des chantiers. Le colloque mettait côte à côte la force de prescription de France Bois Région, avec cette nouvelle cellule Grand Paris dont on ne sait pas exactement si elle va se concentrer sur les projets franciliens, ou permettre de mieux suivre tous ces très nombreux cabinets d'architecte domiciliés dans la capitale et à rayon d'action national. Francîlbois penche nettement pour une cellule puissante mais axée comme son nom l'indique sur les projets du Grand Paris. A défaut d'AMO bois ou biosourcés privés, qui existent, FCBA a profité du colloque pour présenter sa compétence en la matière qui serait, si on l'a bien compris, une intervention en relai de l'action de prescription de FBR. Une AMO biosourcée ou une AMO bois ? L'engrenage n'est pas limpide, mais tout cela doit encore se mettre en place, d'autant que l'on entend que l'équipe des 22 prescripteurs français a accompagné 260 projets l'an dernier. Ce n'est pas beaucoup, tout dépend de ce que l'on entend par "accompagner", mais on dirait que les prescripteurs cumulent plusieurs tâches au sein des interprofessions. Et en attendant, la représentante de Paris Habitat au colloque, Isabelle Quet Hamon, "se sent un peu seule". Qu'entendre par là ? Francîlbois confie démarcher ce colosse de Paris Habitat toutes les semaines depuis fort longtemps et du côté des industriels, ce cri de solitude fait sourire. En traduction, le lobby bois ne fait pas vraiment le poids notamment face à celui des entreprises générales. Ce que le biosourcé est au bois, le bois l'est à l'entreprise générale, en quelque sorte. Ce qui augure du bras de fer parisien en conception-réalisation bois.

Pour résumer, les donneurs d'ordre veulent malgré toutes les déconvenues passées recourir au bois, ils ont besoin d'être épaulés. Eh bien, la création de la cellule de prescription Grand Paris tombe à point nommé, de même que le développement de la compétence AMO de FCBA. Le verre est à moitié plein et avec les résultats de Réinventer Paris, tout le monde aura du pain sur la planche. Oui. A deux conditions. Premièrement, que la question du recours prioritaire au bois français ne vienne pas mettre le désordre. Et deuxièmement, d'une façon liée au problème précédent, que les prescripteurs du monde du bois ne mettent pas dos à dos le CLT et l'ossature bois. Maître Cube, dans sa présentation au Pavillon Circulaire la semaine dernière, a fait preuve d'un bel esprit d'ouverture en la matière. Malheureusement, pour des questions politiques au demeurant compréhensibles, il n'est pas sûr que l'intérêt général l'emporte sur le plan institutionnel, ce qui sera d'autant plus grotesque que l'Ile de France ne dispose plus d'aucune scierie. L'opération de 140 logements de Ris Orangis, pas en odeur de sainteté ? Le CLT étranger qui tue des emplois français ? Echarpons-nous, les donneurs d'ordre vont se montrer bien compréhensifs et se tourner vers les experts radieux de l'entreprise générale, au demeurant de plus en plus compétents en matière de bois construction.

Mais peut-être que les tenants du bois français ont raison, en fin de compte. Aujourd'hui, avec un pétrole pas cher et un hiver printanier, sur quoi s'appuyer sinon le bilan carbone, sans oublier bien sûr l'emploi ? Très bien, alors la filière bois et France Bois Région n'a plu qu'à intégrer dare dare une approche biosourcée, prescrire prioritairement du bois français avec de la paille, du chanvre, du lin etc. au risque de s'apercevoir que la filière bois a pris un retard colossal en ce qui concerne une telle approche, qu'il vaudrait mieux dégonfler provisoirement les équipes de prescription pour ce concentrer sur les DTUs, les labos d'essai, la recherche en amont, reformuler le cadre d'action de FCBA, mettre au point patiemment un paquet d'offre systèmes biosourcés cohérent et revenir alors, et seulement alors, sur le devant de la scène et l'aide à la prescription.

Aujourd'hui, les quelques petits fabricants français de CLT ou de panneaux apparentés se forunissent abondamment en sciages étrangers. Qui blâmer ? Personne ne semble vouloir développer sérieusement un CLT 2CV, moins performant mais susceptible d'intégrer une large partie du bois qui pousse chez nous, y compris le bois feuillu. Allons-nous envoyer à la bataille des équipes de prescription formatées pour insister sur le recours au montant d'ossature français, face à des donneurs d'ordre qui perçoivent bien tout le potentiel au moins complémentaire du CLT dès lors qu'il s'agit de répondre aux impératifs de la rénovation et de la densification urbaine ? L'un des points forts de ce colloque national est qu'il a fini par faire émerger les termes et alternatives d'un vrai débat.

Postez un commentaire