Woodrise côté cours et côté salon

Source:
Fordaq JT
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Woodrise est un congrès géré par deux grands instituts technologiques, FCBA et FP Innovations. En France, FCBA intervient régulièrement dans les manifestations professionnelles en apportant son expertise sur le plan de la réglementation et de la recherche. A Bordeaux, l'approche du premier jour du congrès est cependant plus ouverte. Compte tenu du sujet, il est un peu naïf de s'attendre à apprendre par A plus B la façon de construire en bois et en hauteur. L'idée principale, c'est que ça se fait concrètement un peu partout aujourd'hui, et que l'on se situe actuellement, en fonction du nombre d'étages, entre le prototype et la solution compétitive.

Les séances plénières d'inauguration de congrès sont ce qu'elles sont. Les discours de Luc Charmasson, Frank Mathis et Emmanuel Acchiardi s'adressaient surtout au monde entier présent. Les décideurs français institutionnels n'ont pas débarqué à Bordeaux avec une approche nouvelle en matière de tours en bois. Il faut dire que toute la démarche AdivBois et immeubles à vivre est déjà tellement innovante et inhabituelle en elle-même. En grattant un peu, si, on relève que le président d'AdivBois annonce la création imminente de club de bailleurs, mais aussi de clubs de maîtres d'ouvrage et autres catégories prescriptrices au sein d'AdivBois. L'idée d'un club des bailleurs sociaux du bois avait sinon germé, du moins resurgit lors du Forum de Nancy en avril dernier, tant il est apparu qu'au sein du logement social, une poignée de personnes sont des sachants décisifs de l'usage du bois dans la construction. Il s'agit de leur permettre d'échanger, d'agrandir le cercle et aussi de mettre la profession à leur écoute car ils le méritent. Toutefois, ces grands connaisseurs sont tous par la force des choses des néophytes de la construction bois en hauteur, à l'exception du Toit Vosgien.

Le monde germanique est en train d'élever la tour HoHo à Vienne. Auparavant, il y a eu un certain nombre d'expériences comme la Life Cycle Tower de Kaufmann et quelques ouvrages de moyenne hauteur pas trop audacieux tout de même. La force de la zone DACH (Allemagne, Suisse, Autriche), c'est en la matière la recherche universitaire, la capacité de dire ce qui va fonctionner ou non sur le plan technique. Mais ce savoir à aussi certaines limites, non seulement parce que, comme l'a précisé le professeur Stefan Winter de l'université de Munich, tout n'est pas encore maîtrisé sur le plan de la construction en hauteur en bois. Il faut aussi tenir compte des spécificités climatiques régionales. Ainsi, la solution développée par Eiffage sous ATEX pour la suspension des consoles de balcons métalliques de la tour Hypérion, solutions par ailleurs mixtes en acier et en béton, pourraient bien ne pas être transposables en l'état à un climat continental.

On touche là toute la subtilité d'une approche globale de la construction bois en hauteur. Non seulement le dialogue peine à s'instaurer à cause de la méconnaissance du contexte de chaque pays, de ses turpitudes réglementaires, de ses coups fourrés de lobbys, non seulement le CLT et le BLC sont en quelque sorte des produits d'ingénierie certes mondialement répandus, mais sans doute très différents d'un pays à l'autre sous l'angle des possibilités d'assemblage ; mais il y a aussi cette question du climat spécifique, sans oublier l'évolution du climat dans les décennies qui viennent et son cortège de catastrophes naturelles annoncées. Imaginer comme Michael Green une plateforme virtuelle d'échange d'informations, cela va buter comme le congrès Woodrise sur toutes ces spécificités, et l'on ne parle même pas du goût architectural des différents pays. A défaut, le grand mérite d'un tel congrès est de connaître l'autre, et en miroir de se connaître mieux soi-même. Quelle clarté dans la présentation des enjeux de la filière canadienne ! Quelle limpidité dans la démarche industrielle de l'entreprise japonaise Nice, qui développe un peu partout dans le monde, et aussi en Europe, son approche de liaisonnement poteau-poutre invisible et démontable Suteki ?

Tandis que le sujet conduit à parler un peu trop de projets non encore réalisés, aux enjeus techniques nécessairement flous, l'espace d'exposition apporte à la fois le concret des produits et les connaissances techniques des représentants industriels. D'autant que la surface d'exposition du congrès a été très soignée. Les connexions du CLT ? Allez voir Hasslacher, RothoBlaas, Würth... Certes, tous n'ont pas (encore) l'avis technique ou l'ATEX, ces sésames français. Mais on peut constater que l'assemblage des panneaux de CLT ne se fait plus forcément par le fastidieux vissage disgonal de longues vis spécifiques, même si certains acteurs industriels proposent le pré-percement pour faciliter le guidage des vis. Quant aux équerres si simples et polyvalentes utilisées dès Murray Grove en 2007-2008, et qui ont été défendues par le pragmatique spécialiste Zumbrunnen, on peut tout de même se demander jusqu'à quelle hauteur de bâtiment elles feront l'affaire, face aux efforts de vent, des risques sismiques. 

C'était à prévoir : malgré tous les forums annuels de Garmisch ou les forums FBC français, le savoir en matière de construction bois en hauteur est encore disparate. Mais on peut remarquer qu'il n'est pas polémique. On ne se trouve pas en présence à Bordeaux de deux écoles inconciliables qui jettent l'anathème sur l'approche technologique de l'autre. Stefan Winter a bien souligné qu'un socle de connaissances de base existe et qu'il est étayé par des essais, à la fois sur le plan de la résistance mécanique, de l'acoustique, de la résistance au feu. Bordeaux ne voit pas non plus s'affronter les tenants d'une approche tout bois et ceux qui pratiquent une mixité souvent très poussée en pratique.

Tout de même, il serait intéressant de pouvoir rentrer de ce congrès dédié avec quelques notions fortes et consensuelles sur ce qui est maîtrisé et ce qui ne l'est pas encore tout à fait. Après Grenfell, quelle réponse du bois ? Comment apporter une réponse technique décisive à un risque pire que le feu, qui est celui de l'eau ? La gestion des fluides ne demande-t-elle pas de penser les immeubles en bois d'une façon radicalement différente que les ouvrages en maçonnerie ? Parlant de cloisonnements coupe-feu, n'est-il pas essentiel de développer des idées nouvelles en matière de cloisonnement vis-à-vis de l'eau, et pas simplement ces solutions d'étanchéité des pièces d'eau qui ne résisteront pas à des dégâts des eaux progrtammés dans toute construction à l'échelle de 30 ans, a fortiori dans des ouvrages en hauteur avec de nombreux habitants, sans parler des réseaux de sprinklers qui seront sans doute souvent installés. Pourra-t-on se passer de capteurs intégrés et autres développement techniques spécifiques ?

Voilà exactement l'effet que le congrès Woodrise parvient à susciter. Il présente ce qui est présentable et invite à réfléchir. Ou mieux encore à interroger ou interpeller les sachants, architectes, industriels, chercheurs-enseignants.

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